La Mer en Rouge (2)
le patchwork
Mots-clés : Brésil , Erythrée
Al Qaeda de plus en plus menacé en Afghanistan (où se trouverait environ une centaine de membres seulement) et au Pakistan (où les leaders, afin d'échapper aux frappes de drones de plus en plus meurtrières, se réfugient à Karachi et, avec moins de succès, à Lahore) ayant depuis plusieurs mois décidé une délocalisation en Somalie et au Yémen , se trouve désormais à la fois très affaiblie mais dans une position stratégique nouvelle: au centre de la plus plausible propagation d'une guerre inter-Arabe et inter-musulmane d'une ampleur qu'il est encore difficile de prédire.
Nous avons vu dans l'article précédent ce qu'il en est de la situation en Somalie , le point le plus excentré.
Il convient aujourd'hui de nous pencher sur le berceau dans lequel d'étranges fées ont placé le bébé.
Le début du glissement
Sous le prétexte de venir en aide à la tribu des Houtis, l'Arabie Saoudite a concentré de très importantes forces autour de sa frontière commune avec le Yémen , fait évacuer plus de 150 000 de ses propres ressortissants frontaliers et commencé à bombarder villages, casernes, points de communication, etc.
Des soldats saoudiens ont pénétré au Yémen dont les forces ont répliqué, tuant un peu plus d'une centaine d'hommes.
L'armée yéménite est relativement sous-équipée mais plutôt bien entraînée et rompue aux opérations sur ces territoires très particuliers.
Foire aux navires de guerre.
Pendant que se déroulent ces opérations, la Mer Rouge s'encombre: on dénombre aujourd'hui au moins trois navires de guerre israeliens, trois américains, des égyptiens, des saoudiens, des indiens, quelques vedettes erythréennes sans compter les navires français qui ne cessent de mouiller au verrou de Djibouti, en provenance ou en partance de la fameuse opération anti-pirate, dont nous considérions qu'il s'agissait plus d'un test en grandeur nature que du souci d'arrêter ce qu'on continue à appeler du piratage.
A cette joyeuse troupe s'ajoute la présence de trois bâtiments de guerre iraniens.
Tout ce petit monde surarmé et suréquipé se croise sans arrêt, augmentant les probabilités de dérapage.
La présence des Israeliens, des Yéménites, des Erythréens et des Egyptiens s'explique par leur statut littoraux.
Celle des Américains et des Français, par leur prétention à une capacité de régulation et de protection des routes commerciales, un argument dont on sait qu'il a toujours servi à tout et n'importe quoi.
Téhéran hors des rangs
Celle des Iraniens est à la fois plus subtile et plus hardie.
En créant un centre de gravité hors du Golfe Persique, Téhéran dénie son isolement et l'impression qu'il serait encerclé, proclame au monde son indépendance, gagne du prestige et gagne du temps.
Mais surtout, l'Iran affirme sa capacité à jouer sa partition dans un mouvement auquel on assiste, qui voit trois conflits régionaux séparés se fondre en une possibilité de guerre aux dimensions globales
- le conflit israelo-palestinien
- la guerre en Afghanistan et son extension pakistanaise
- les conflits de la Corne de l'Afrique impliquant tour à tour Ethiopie , Erythrée, Soudan , Somalie .
On voit donc que de micro-local, le conflit comporte une dimension intercontinentale.
Cette situation a un petit air de conflit des Balkans du début du XIXème siècle, dans lequel se forment des alliances à configurations variables.
Israël , l'Arabie Saoudite , les USA , les Emirats et le Yémen du Nord
l'Ethiopie , les USA
Le Soudan , la Chine , Al Qaida, le Yémen du Sud
L'Erythrée, le Yémen du Sud, l'Iran , le Pakistan
La Russie , l'Iran , l'Inde
Le Yémen (Sud et Nord) contre l'Arabie Saoudite et les USA .
Ceux qui ont l'air de ne pas y toucher
Quelques observateurs s'impliquent et s'inquiètent à des degrés divers (liste non-exhaustive):
- La France, qui navigue entre son souci de ne pas perdre pied à Djibouti, de protéger ses pêcheurs en Mer d'Arabie et dans l'Océan Indien, et le devoir de marquer sa puissance aux yeux des Emirats qu'elle courtise.
- La Russie , qui garde des liens avec le Yemen et l'Iran (pour faire contrepoids à un futur Aghanistan délaissé par l'Occident), mais aussi depuis peu avec Israel , puis avec l'Inde dans une perspective de rivalité constante envers Pékin et constate avec inquiétude la diminution de ses moyens de l'autre côté c'est-à-dire dans la Mer Noire, ce qui l'empêcherait de jouer sa partition vis-à-vis des pays du Caucase, de la Turquie et du Levant.
- L'Inde justement, de plus en plus inquiète devant l'expansion de la puissance navale chinoise, qui trouve une alliance de fait avec le Japon et la Corée du Sud.
On peut aussi envisager une petite visite du Brésil, de plus en plus enclin à se poser en médiateur de tout pour tout le monde, tout en en profitant pour vendre des armes.
Nous verrons dans un prochain article les conséquences à prévoir de cette étrange bouillabaisse tactique et de ce patchwork stratégique bredouillant.
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