la tentation turque
une grande puissance au milieu des blocs
Depuis Mustaffa Kemal, la politique étrangère de la Turquie privilégiait l'Occident. Durant la guerre froide Ankara , bastion Sud de l'OTAN et tenaille sur le Bosphore jouait un rôle capital dans la partie USA -URSS, aussi Washington favorisa t'il à grands renforts de milliards et d'appuis ouverts ou occultes la laïcisation et la modernisation de l'ancien Empire Ottoman.
L'armée turque fit et défit les gouvernements puis à mesure que le besoin du pays de resserrer ses liens économiques avec l'UE se fit jour, les militaires acceptèrent de passer la main et de jouer le jeu démocratique.
La première guerre du Golfe, après laquelle la Turquie fut bien mal récompensée pour son soutien aux coalisés, a constitué un tournant.
Washington vit dans un Kurdistan puissant un axe déstabilisant contre Saddham Hussein.
Si les accords passés entre Ankara et Tel-Aviv (autorisation pour les pilotes israeliens d'utiliser l'espace aérien Turc pour leurs entraînements, et vente par Israël d'armements que Washington leur refuse) et son statut de membre de l'OTAN continuent de compter, plusieurs éléments modifient la donne.
L'énorme rejet populaire envers la "coalition of the willing", la peur avérée d'une forte déstabilisation régionale et les innombrables errances du président Bush ont creusé une distance inattendue.
Seuls 12% des Turcs ont une image positive des USA , 82% jugent très sévèrement le Président Américain, l'Europe semble de moins en moins accessible, de moins en moins désirée et solidaire.
De leur côté, les Kurdes Irakiens manoeuvrent avec finesse et une discipline nouvelle afin de faire main basse sur les champs pétroliers
autour de Kirkouk et Mossoul, qui leur garantiraient les moyens de l'indépendance économique, donc politique.
Ils sont en Irak les seuls alliés solides des Américains.
Désormais, la crainte de toujours de voir un état Kurde se former est crédible et a rapproché Ankara de Damas et de Téhéran, qui lui fournit près de la moitié de ses besoins énergétiques.
Toutefois, les Turcs craignent que l'Iran ne devienne nucléaire et ont multiplié les contacts avec Abdallah le roi d'Arabie Saoudite .
Le gouvernement d'Erdogan, dont le parti PKA devrait remporter les prochaines élections se trouve face à une série de choix délicats qui vont engager le pays vers une voie radicalement nouvelle.
Il a rencontré toutes sortes de
difficultés à imposer aux partis politiques laïcs et à l'armée un Président et les provocations du PKK se font de plus en plus meurtrières: le PKA sait que la hiérarchie militaire ne peut laisser impunie la récente série
d'attentats qui ont visé et tué des soldats turcs, et doit donc frapper les bases de ce mouvement.
Ce n'est pas médiatisé, mais l'armée Turque a déjà opéré plusieurs incursions en Irak . Tant qu'elle n'a frappé que le PKK rien n'est irréversible.
Il suffirait cependant qu'un incident plus sérieux que ceux qui ont déjà eu lieu oppose les soldats Turcs aux hommes de Talabani ou de Barzani accompagnés de forces spéciales Américaines pour qu'une spirale incontrolable s'enclenche. Kurdes et Turcs sont de bons combattants et de cruels vainqueurs, sur lesquels il est indispensable d'avoir prise, d'une façon ou d'une autre.
Devant l'incohérence Américaine, Ankara ne sait plus quel est son statut dans la carte géostratégique de la superpuissance: Washington privilégiera t'elle le Kurdistan par souci de contrôler l'Irak , et de disposer d'une base de départ en cas d'attaque sur l'Iran ?
Tout lui impose d'être de plus en plus présente dans la région.
Elle se tourne donc à nouveau vers son traditionnel espace politique: le Proche et le Moyen-Orient.
Elle l'illustre au monde entier (et particulièrement au monde Arabe) par sa participation de 1000 hommes de troupes à la FINUL au Sud Liban .
Elle offre ses bons offices dans les litiges Arménie-Azerbaïdjan, elle apporte son concours au Turkmenistan, Khirgistan, et place des pions en Ouzbekistan, en Syrie et au sein des partis libanais.
L'Egypte craint de la voir se substituer à elle comme premier partenaire des pays Arabes, d'autres soutiennent qu'Ankara peut jouer sa propre carte, originale, de lien entre d'une part Israël et l'Arabie Saoudite déjà partenaires sur plusieurs domaines; d'autre part l'Arabie Saoudite et l'Iran .
Il est certain en tous les cas qu'elle va être amenée à jouer un rôle plus indépendant autour et à l'intérieur de l'Irak , et celà même s'il lui faut s'opposer aux USA .
Dans une région aussi instable, cela peut l'amener plus loin que nul, y compris en son sein, ne le voudrait. Ses partenaires actuels seraient ainsi bien inspirés de ne pas laisser Ankara dans ce sentiment de déception, ni de la laisser développer une ambition de moyenne puissance agressive ou revancharde sans lui donner l'impression d'être amicalement accompagnée.
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